Autrefois
Il y a bien longtemps
On ne sait plus quand,
Mais la date est très précise,
Un saule poussait dans une bien agréable prairie de Cerdon...
L'arbre, un beau spécimen mâle, avait cherché longtemps endroit remarquable pour y planter ses racines et espérait pouvoir y fonder famille.
Dame nature l'avait favorisé, lui faisant découvrir un beau et remarquable site voyant la Moréna couler pas loin et assurant ainsi apports hydriques nécessaires à ces grands soiffards que sont les saules.
S'étant laissé porté par les vents, notre salicacée décida de se laisser tomber au sol et y planta sa graine ; le sol favorable et la terre bien nutritive firent merveille. Bien rapidement pour un saule mâle, notre individu devint un vigoureux spécimen mais ressentait toujours une présence intérieure, certes réellement bénéfique et favorisant sa croissance mais, il faut l'avouer, un peu indigeste.
Notre saule devenu adulte majestueux, cette prairie bien grasse, bien verte et bien arrosée attira aussi un bon et brave fils de Cerdon, un certain Victor dit la légende, ou peut-être un autre prénom disent d'autres conteurs un peu brodeurs.
Notre Victor, donc, en ces temps lointains, se dit que l'endroit était rêvé pour y construire demeure, belle ferme et y voir naître petite famille. Affaire conclue avec le noble local et terrain acheté avec droits entiers, il fit construire sa maison, bonne et grosse bâtisse, bien solide, aux murs et charpente si épais que le temps pourrait passer et s'y écraser pendant siècles entiers.
Sa maison terminée, meubles installés, vaches à l'étable et chevaux à l'écurie, houes, charrues et charrettes en charreterie, notre brave homme, se dit que temps était enfin venu de trouver femme et enfin fonder ce foyer puis voir y venir marmots ; partie la plus agréable et amusante de ses projets.
Vous savez comment sont les hommes: ils savent faire le beau pour séduire, font rouler les muscles pour se montrer fort. Notre jeune paysan en faisait montre à qui voulait le voir, surtout la gent féminine. Il se montrait ardu au travail, brossait ses vaches, entretenait ses outils, voyait belles récoltes et belles pâtures, beau troupeau et beaux fromages ; l'homme n'étant pas fainéant, cela ne lui était qu'effort physique. Ayant bon fond et homme fort doux, il l'était avec les gens comme il l'était avec les bêtes.
Vous savez comment sont les femmes: elles savent jouer de leur charme et séduire le matou. Si certaines ne sont que viles garces - tout comme certains hommes ne sont que vils gars, il est infiniment plus grand nombre de bonnes et honnêtes femmes ; Surtout à Cerdon vous rajouteront les cerdonnais.
Foule de jeunes filles regardaient notre brave jeune homme avec intérêt ; s'il faisait de même avec les cerdonnaises, toutes plus belles et gentilles les unes que les autres, il n'hésitait pas à lorgner vers les autres paroisses qui voyaient aussi jeunes demoiselles charmantes et bien éduquées.
Trop de choix tue le choix dit un célèbre dicton ; notre brave paysan était perdu, ne savait plus à qui faire avances. Il en perdait la tête !
Cerdon voyait alors fêtes régulières au vendredi soir, samedi ou dimanche après-midi ; parfois les trois.
Parmi ces fêtes, celle de l'Ascension était la plus courue et les musiciens venaient de loin pour s'y produire. Certains chantaient à capella, seuls ou en chœur ; d'autres jouaient de la bouzine, du tambour, du sacqueboute, du cromorne, du cornet à bouquin et autres hauts instruments. Parfois ils s'associaient avec bas instruments et mélangeaient les sons ; certains coquins ayant quelques désirs de mélanger les corps quand on mélangeait les sons, les baillis avaient organisé un service d'ordre strict qui faisait respecter les bonnes mœurs ; on ne sait jamais avec les paroisses alentours ; rien que des séducteurs, des coureurs de jupons, des gredins, et même pire. Vous savez aussi que jeunes ont diable au corps, et qu'humain reste toujours jeune !
L'une de ces jeunes demoiselles, la plus belle, la plus douce et la plus aimable de corps et d'esprit de toute la région enflamma le cœur de notre Victor et s'enflamma elle-même pour notre brave homme. Parents accordés, garçon et fille de même, on décida des épousailles ; date fut fixée ; mariage réalisé au son des fifres et tambourins.
La fête fut mémorable et tous les environs furent conviés. Pour ce grand jour, n'ayant tables suffisantes, on creusa tranchées, à l'ancienne mode. Plus de 20 bœufs, plusieurs dizaines de cochons, des légumes, gibiers, mets peu communs et, bien sûr, multiples barriques de ce vin de Cerdon qui ravît tant les palais furent de la fête, bien que n'étant trop joie pour les gibiers, vaches et cochons.
Vous pensez certainement demander quelle était la paroisse qui vit naître si belle jeune fille ?
Malheureux que vous êtes !
Cessez de jouer l'aéronihiliste, passez votre questionnement et taisez-vous à jamais sous peine de heurter les suceptibilités locales puis provoquer tensions inter-communales inextricables !
Victor et sa douce épouse s'installèrent dans leur demeure et firent bientôt naître charmants bébés.
Victor avait lié liens d'amitié avec son saule. L'été, il se prélassait régulièrement à son ombre, regardant le ciel ; l'hiver, quand les frimas se faisaient trop violents, il paillait le pied de son saule pour lui permettre de garder quelques chaleurs chtoniennes.
Ayant atteint taille adulte et stimulé des hormones, notre saule se dit que temps aussi était venu d'attirer une belle, faire naître des petits saules et fonder belle saulaie et il attendait désespérement qu'une belle plante passa à proximité de ses branchages. Si l'homme peut aller chercher gente demoiselle en autres lieux, si douces damoiselles peuvent aller chercher beau damoizeau en autre contrées, les saules doivent attendre que belle saule passe proche. Les vents avaient changé, ils poussaient les charmantes saules vers autres horizons et notre arbre attendit bien longtemps en vain.
En ces temps lointains, l'homme et les autres créatures, vivant ensemble et se fréquentant en permanence, savaient s'écouter et communiquaient entre eux ; si vous ne croyez pas ce fait, regardez ce film mongol appelé Le Chameau qui pleure qui n'est pas beau conte mais réalité ; ou écoutez les interviews de Shoichi Yokoi parlant de sa vie dans la jungle de Guam et de ses liens avec les plantes.
Notre Victor, donc, venait régulièrement se prélasser près de son saule et échangeait avec lui quand ses turbulents rejetons ne venaient pas le déranger dans ses siestes réparatrices. Un beau jour d'été, le saule dit à son ami humain qu'il souffrait d'une profonde douleur et savait que jamais belle saulaie ne s'épanouierait près de lui. Il avait décidé de se dessécher et se laisser mourir
- Victor, mon ami, lui dit-il, utilisant cette langue si délicate et propre aux saules, Mon Ami, le temps est venu pour moi de partir et me déssecher mais je te demanderai le service de me couper quand je serai mort. Victor en fit promesse à son ami saule.
Le saule se tut alors, définitivement.
Quelques jours après, les premiers stigmates de la mort apparurent sur l'arbre ; ses feuilles, autrefois si joyeuses, commencèrent à jaunir, puis tombèrent lentement au sol. La mort faisait sont œuvre et Victor, impuissant, en éprouvait grand chagrin. Les mois passèrent et Victor prit sa cognée pour tenir son engagement.
Au premier coup de hache, le saule frémit et se mit à saigner abondamment. Il se fendit alors et laissa apparaître une Vierge Noire portant un enfant qui tendit les bras vers Victor ; Victor tomba à genoux et fut le premier à prier devant la Vierge Noire et l'enfant de Préau. C'était un 8 septembre...
Les ans et saisons sont passés sur Préau ; une chapelle y a été depuis édifiée ; les pèlerins viennent de loin implorer la Vierge qui exauce toujours ceux dont le cœur est pur. De même, la porte de la chapelle est toujours ouverte aux cœurs purs...
Vous n'hésiterez pas à passer au hameau de Préau en pensant à cette légende et aux bienfaits que la Vierge ne peut que vous accorder. Bien sûr, si la porte de la chapelle était fermée, vous ferez introspection et amende honorable pour retrouver un cœur pur !