Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août 1914
Immédiatement, de tous les coins du village arrivent les personnes qui ne travaillent pas aux champs : institutrices, instituteur, curé, receveur buraliste, etc. Chacun dit : Enfin ! Ce n'est pas encore la guerre. Espérons que ce malheur sera évité.
» Mais on n'a qu'une confiance médiocre en ces paroles, qu'on prononce machinalement, ému presque jusqu'aux larmes. Le receveur buraliste, ancien gendarme, dit : Vous allez voir un gendarme apportant les plis de la mobilisation.
Tout le monde se tourne vers l'entrée du village, du côté de la route de Suze-la-Rousse. Cinq minutes après, on voit arriver, au triple galop de son cheval, le brigadier de gendarmerie, qui se dirige, toujours à la même allure, vers la mairie.
Le maire arrive. Il donne l'ordre de sonner le tocsin et de battre la générale, et fait hisser à la mairie le drapeau de la commune. Les affiches sont posées. Des champs arrivent les travailleurs, qui se rendent chez eux, pour consulter leur livret militaire. Les travaux exécutés au château de Rochegude, où cinquante ouvriers sont occupés, sont suspendus immédiatement. Les ouvriers d'art, la plupart Italiens ou Parisiens, commencent à faire leurs malles.
On soupe rapidement, pour aller ensuite dans la rue bien éclairée et pleine.de monde. Le temps est splendide, le ciel étoilé. On n'y fait pas attention ; toutes les pensées sont tournées vers la guerre. Dans un va-et-vient rapide, chacun fait ses provisions, règle ses affaires urgentes. On s'arrête dix minutes, un quart d'heure, pour échanger quelques paroles. On entend beaucoup de ces phrases : Ce n'est pas encore la guerre, ça peut s'arranger. Le gouvernement fait bien de tenir la France prête, parce que l'Allemagne doit l'être. Grâce à la loi de trois ans, nous avons assez de troupes de couverture pour effectuer tranquillement notre mobilisation. On pense peu à l'Italie. Chacun fait montre d'une certaine tranquillité, qui au fond n'est que relative. Un membre de la société de tir dit à l'instituteur : Moi, j'ai appris à bien tirer. Si la guerre éclate, j'espère me tirer d'affaire. On n'entend aucune plainte, aucune récrimination.