J'ai vécu mon enfance dans les ruines d'une ville brûlée par la guerre. Mais je n'ai jamais, de ma vie, vu rien d'aussi affreux que les ruines du Poil que nous avons longuement visitées ce matin-là.
Georges Sadoul
◎ Le dernier enterrement et l'église en 1939
Le dernier enterrement réalisé au Poil eu lieu en 1932.
L'église déja fatiguée et la voûte effondrée imposèrent de pratiquer la cérémonie dans une petite chapelle voûtée attenante. La sacristie était, elle aussi, fortement délabrée. En 1939, les visiteurs signalent encore la nappe en dentelle sur l'autel, ainsi que le crucifix et les saints de plâtre.
Le mort fut enterré dans le cimetière du Poil. Toujours pour l'année 1939, le cimetière est décrit comme envahit d'herbes folles et d'oseille sauvage. Il reste encore des fleurs artificielles, des couronnes, et ces plaques émaillées rappelant qui un époux, un père, une mère ou autre membre d'une famille poileuse.
Georges Sadoux, racontant cet enterrement, le décrit d'une manière si terrible que l'on sent la mort planer sur ce village. Il décrit la longue marche pour arriver de la vallée, le cercueil porté à bras d'homme, le vicaire venu spécialement pour officier, le cortège funèbre, quelques personnes seulement, des rescapés.
Les photographies datées de 1939 montrent bien la désolation du Poil, comme si la population avait disparu, soudainement, brutalement effacée par quelque cataclysme inconnu, aspirée par un glacé néant toujours palpable en cette période d'avant-guerre. Georges Sadoux signale la présence des vêtements sacerdotaux, posés sur une chaise et recouverts de gravats. Il parle du registre des baptêmes, traînant dans la sacristie, remarque les burettes, la clochette oubliée dans une armoire...
Un reliquaire du XVIII° représentant le saint patron de la paroisse est toujours debout en 1939 ; il est accompagné par le crucifix et une peinture noircie par le temps ; quatre bancs encadrent l'autel. Les gravats recouvrent tout...
Six mois après le passage des journalistes, un photographe du journal vint sur les lieux. Le spectacle du Poil agonisant est terrible: la voûte s'est effondrée sur les bancs, le tabernacle et l'autel, faisant disparaitre la nappe en dentelle sous des monceaux de gravats ; la chapelle n'existe plus. Seules les cloches tiennent encore dans un clocher ne demandant qu'à s'effondrer.
◎ La vie administrative en 1939
En 1939, la vie administrative du Poil est réduite au strict minimum. Le maire habite Digne, il y est marchand de lavande, tilleul et herbes au marché. Il vient quatre fois l'an tenir conseil municipal à Poil. Sur la porte de la mairie, en 1939, une affiche est restée clouée, on peut y lire un appel aux incorporations du contingent pour septembre et octobre 1938.
◎ L'école
L'école se trouvait installée dans la mairie. La salle de classe, unique, est abandonnée avec ses pupitres, toujours en place, son tableau noir et l'estrade et le bureau de l'institutrice ; la dernière étant du nom de Mlle Jaume.
Les visiteurs de 1939 trouvent une lettre traînant sur le sol. Datée du 17 mars 1918, elle est expédiée de Digne et signée par l'inspecteur du primaire, un certain Molinot. En connaissant le texte, nous vous en livrons le contenu:
Monsieur le Maire,
J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien informer les pères de famille de votre localité que, par le même courrier, j'invite l'institutrice, Mlle Jaume, à rejoindre son poste.
S'ils m'avaient écrit, aussitôt après avoir fourni la quantité de bois demandée, la classe serait déjà rouverte. Je crois de mon devoir de leur rappeler que Mlle Jaume ne saurait être rendue responsable de l'état de choses dont ils se plaignent.
Elle fera tout son devoir, mais il importe que les parents fassent le leur. S'ils manquaient de serviabilité à l'égard de leur institutrice, ils risqueraient de ne trouver personne qui consente à aller exercer dans leur commune. Le fait s'est déjà produit pour une localité voisine.
◎ La Poste
Il n'y a jamais eu de bureau de Poste à Le Poil mais une boîte à lettre encastrée dans le mur de la Mairie. En 1939, cette boîte à lettres est toujours présente, mais cloutée. La dernière première levée du samedi était signalée sur la boîte et toujours lisible en 1939, mais on ne sait de quel samedi il s'agit...