Ce 13 avril 1875, François Bourcier, tout juste papa, se présente à la mairie devant François Bolliet, maire de Cerdon. Il vient y déclarer la naissance de ses jumeaux, Pierre et Émile qui sont nés de son union légitime avec Virginie Chypre alors âgée de 28 ans, François en a 32. Les jumeaux seront appelé Émile-Louis pour l'aîné et Pierre pour le cadet. Né à deux heures et demi du matin, Pierre est cadet légal ; Émile-Louis, né à deux heures tapantes, est donc l'aîné des deux frères.
Comme tous les enfants de la région, Pierre et Émile parlent arpetan dans la vie de tous les jours et à la maison. Cette langue est langue de l'âme et pratique naturelle tout au long de leur petite enfance ; c'est aussi cette langue qui a bercé leurs premiers souvenirs. Comme tous les enfants de campagne, ils bénéficient d'une grande liberté, découvrent leur monde, copient les plus grands, certainement se battent et dénichent les nids malgré les réprimandes vigoureuses du garde-champêtre, font foules de bêtises, certainement pas très graves ; cela n'est que sursis...
Leurs sept ans arrivés, nous sommes en 1882, les deux frères se retrouvent sur les bancs de l'école: finie la Liberté, les folles galopades dans les champs, les explorations et les pêches dans le Veyron, les ruisseaux et autres rus irrigant la commune.
Nous ne savons s'ils vont à l'école communale - alors École du Diable pour certains, ou s'ils vont à l'école congrégationiste, que nous connaissons actuellement sous le nom d'École Libre, École des calotins pour les autres.
Virgine, leur mère, meurt le 7 mars 1883. Eugène, cordonnier, accompagne son frère, François, pour déclarer le décès de sa belle-sœur. Virgnie était native de Haute-Savoie
En ces années 1880, et cela jusqu'au premier conflit mondial, les tensions religieuses et républicaines sont violentes, la séparation de l'Église et de l'État ne se fait pas sans querelles, bagarres voyant horions, belles bosses et distribution généreuse de beurre noir oculaire. Le recensement des biens de l'Église provoque mutiples accrochages, les gendarmes interviennent, l'armée aussi, quand ils obéissent. Du côté des écoles, c'est le même scénario et l'école républicaine s'approprie l'enseignement au détriment des écoles congrégationnistes qui ont développé, partout en France, un enseignement souvent gratuit et depuis fort longtemps.
Les écoles congrégationnistes sont nées de la volonté des habitants des paroisses de voir délivrer un enseignement et instruction à leurs enfants. Pour l'Église, il y a aussi devoir de former les Chrétiens de demain ; ils se doivent aussi de savoir lire et écrire. Une lecture des correspondances cléricales de cette époque pour le Diocèse de Lyon, et aussi pour les autres, nous montre une forte demande de religieux ; enseignantes pour les filles, enseignants pour les garçons car l'école n'est pas mixte. L'Église manque cruellement de religieux ou religieuses formées à ce travail mais travaille ardemment à satisfaire les demandes scolaires.
Les lois Guizot, datées de 1833, définissent les programmes qui comprennent une instruction morale et religieuse, ainsi que l'apprentissage de la lecture, de l'écriture - en langue française, l'arithmétique ainsi que l'usage des poids et mesures. Ces lois définissent que l'enseignement peut être privé ou publique, réglementent l'exercice de la profession d'instituteur - certificat de moralité et brevet de capacité sont exigés de chacun.
Comme l'immense majorité des enfants de cette époque, Pierre et Émile fréquenteront l'école jusqu'à leurs 12-13 ans puis travailleront à la ferme avec leurs parents.
Les deux garçons se présenteront lors du tirage dans le canton de Ponçin: Pierre tire le N°7 et et Émile le N°2. Tous les 2 sont reconnus Bon pour le Service.
C'est le 12 novembre 1895 qu'Émile intègre le 109° RI. 2° classe, sa fiche matricule indique qu'il est maçon mais cette spécification est biffée pour celle de cultivateur.
De son bord, Pierre est versé au 23° RI ; il est cultivateur.
Les deux frères ont un niveau d'étude N°3. Ils savent lire, écrire et compter ; ce niveau est alors le plus courant en France.
D'abord installé le 4 décembre 1899 à La Seyne-sur-Mer, quartier Brigaillon, Pierre a déménagé pour Toulon et s'est installé rue Saint Michel, au 18. Pierre est journalier, il est payé à la journée et fait toutes sortes de métiers, toutes tâches qu'on lui propose.
Pierre meurt à l'hôpital civil de Toulon le 20 août 1900 à 20 heures. Son acte de décès, N°1683, ne spécifie pas la cause du décès, peut-être maladie car les faits divers ne signalent rien à son sujet. Deux garçons de bureau déclarent son décès: Jean Blanc, âgé de 63 ans, et Louis Siabelle, âgé de 62 ans.
Ces trois hommes se connaissent-ils ?
Nous n'en savons rien...