L'île de Sein est située à une lieue du continent, dont elle n'est séparée que par le passage du Raz.
L'île de Sein est le prolongement de la pointe du Raz, dont autrefois elle faisait partie sans doute ; elle court de l'est à l'ouest. On compte une lieue un quart de distance entre la pointe de Sein et la grande terre ; l'île a trois quarts de lieue de long sur un quart de lieue de large ; la chaussée de la pointe de l'ouest s'étend à cinq lieues ; la partie la plus élevée est celle du nord, elle a trente pieds au-dessus du niveau de la mer dans les hautes marées.
Les terres sont régulièrement submergées ; en mars, surtout, dans la partie que l'on cultive. Ces terres sont entièrement dépouillées, on n'y voit pas une ronce ; quelques fougères, quelques bouquets de landes, sont les seules productions naturelles de l'île. Le curé soigne un seul pied d'arbre ; mais dès qu'il surpasse son mur, il est coupé, brûlé par le vent du sud-ouest. Tous les hommes y sont pêcheurs ; les femmes cultivent la terre à la main, et leurs maris ignorent quelque fois la place de leurs propriétés.
On ne doit chercher dans cette île ni fleurs, ni fruits, ni cette multitude d'oiseaux faits pour animer la nature. Il y règne d'affreuses tempêtes, une humidité continuelle, une éternelle mélancolie. Les brouillards, les frimas s'y promènent habituellement en tourbillons, comme les sables dans l'Afrique. La vie s'y prolonge communément jusqu'à soixante-dix et soixante-quatorze ans. Les maladies chroniques y sont inconnues ; du vin, une nourriture plus délicate, une poule bouillie, sont les seuls remèdes qu'on y connaisse ; la médecine n'a pas encore pénétré dans cette demeure de la sobriété, de la sagesse et de la pauvreté.
Les habitants de l'île de Sein n'aiment point que les étrangers viennent s'établir dans leur île ; ils sont d'ailleurs hospitaliers, vous reçoivent à bras ouverts, se disputent la possession de ceux qui viennent les visiter. Tous volent au secours des naufragés, à quelque heure de la nuit que le canon fasse un signal d'alarme, les pilotes sont à bord, bravant les vents, le froid, la grêle, la tempête et la mort : tout le monde est sur le rivage. Le malheureux qui se sauve à la nage est recueilli dans le meilleur lit du ménage ; il est soigné, chauffé, nourri ; ses effets ne sont point volés, on les respecte avec un sentiment de piété inconnue sur les côtes de la grande terre. Ils sauvèrent le magnifique vaisseau de soixante-quatorze, de l'escadre de Dorvilliers. Le 9 nivôse an III, ils rendirent le même service au lougre L'Ecureuil ; une multitude de bâtiments, d'une moindre importance, doivent leur salut à ces bons, à ces honnêtes, à ces respectables pêcheurs. Il résulte d'un travail de M. Castera, inséré dans les Annales maritimes, que de 1763 à 1817, les habitants de Sein ont sauvé, d'une perte certaine, un vaisseau de ligne, une frégate, deux corvettes, un lougre, trois embarcations de commerce, parmi lesquelles se trouvait un transport ramenant 500 hommes de troupes françaises des colonies ; cinq équipages entiers de bâtiments de guerre ou de commerce, et, de plus, 819 hommes, dont 300 faisaient partie de ceux qui montaient le Séduisant, navire brisé sur l'ilôt de Tévénnec, le plus redoutable des écueils de la terrible chaussée de Sein. Ils auraient sauvé jusqu'au dernier matelot du Séduisant, si la tempête, devenue encore plus terrible, n'avait pas rendu la mer absolument impraticable. Pendant onze jours, durant lesquels toute communication fut interdite avec la terre, les habitants de Sein partagèrent fraternellement avec leurs hôtes nombreux leurs habitations et leurs vivres, en sorte que si la tempête se fût prolongée davantage, naufragés et habitants, tous seraient morts de faim.
Touché de leur état, de leur misère, le duc d'Aiguillon leur offrit une habitation commode sur le continent, tous les secours, les avances dont ils auraient besoin pour s'y fixer ; ce fut en vain : l'idée de quitter leurs rochers leur fit verser des larmes ; ils demandèrent à genoux qu'on ne les arrachât point à leur misère, aux sables qui les avaient vus naître. Le duc attendri fit faire une jetée dans la partie du sud ; elle s'étend du sud-est au nord-ouest, préserve les champs cultivés et les maisons des eaux qui les inondaient autrefois. Cette digue a près d'un quart de lieue de long et quatre pieds d'élévation.
Il est difficile de rien voir de plus effrayant que le passage entre le Raz et l'île de Sein ; la moindre erreur, une fausse manoeuvre précipitent à jamais dans des gouffres, sur des rochers, sans aucun espoir de salut. La passe n'a que trois quarts de lieue entre Le Chat et la Vielle ; on y trouve trente-six brasses d'eau.
L'île de Sein était connue dès la plus haute antiquité. L'île de Sein, dit Pomponius Mela, est sur la côte des Osismiens ; ce qui la distingue particulièrement, c'est l'oracle d'une divinité gauloise. Les prêtresses de ce dieu gardent une perpétuelle virginité ; elles sont au nombre de neuf. Les Gaulois les nomment Cènes ; ils croient qu'animées d'un génie particulier, elles peuvent, par leurs vers, exciter des tempêtes et dans les airs et sur la mer ; prendre la forme de toute espèce d'animaux, guérir les maladies les plus invétérées, prédire l'avenir. Elles n'exercent leur art que pour les navigateurs qui se mettent en marche dans le seul but de les consulter.
Sans doute, au retour de leurs longs voyages, les navigateurs reconnaissants comblaient de présents ces prêtresses. L'ile de Sein alors n'était pas une plage dépouillée de toute verdure ; des femmes servies par des esclaves habitaient sur ces rochers, qui s'avancent à cinq lieues dans la mer. Alors les rivages qui s'étendent de la pointe de Penmarc'h au Raz étaient couverts de villes considérables, comme la tradition et souvenirs de la ville d'Is, les ruines de Douarnenez, les ruines immenses de Penmarc'h, les ruines de la pointe de la Chèvre, celles de Raz, etc..., le démontrent à tout homme impartial.